Vous me direz que sur le chemin d’un projet d’association, les remises en question…il y en a beaucoup, tout le temps. Disons que celles qui m’ont remué en 2024 étaient plus importantes que d’habitude. Le genre de remises en question où se dit : « et si on remettait tout à plat pour repartir différemment ? ». Alors, je vous partage ci-dessous un condensé de tout ce qui me trotte dans la tête ces derniers temps, et je vous invite à entrer dans le remue-méninges de la Valise Indigo !


En 2024, je suis devenue maman. Un tsunami immense d’émotions, de bonheur et également de bonnes claques face à mon organisation de travail « bulldozer » qui jusque là fonctionnait à peu près… Je ne voulais pas reproduire ce mode de travail une fois que ma petite Adèle serait avec nous, mais je ne savais pas très bien par où commencer pour revoir de fond en comble un mode de travail « speed », calqué sur un milieu culturel « speed » bâti sur la sur-implication de ceux qui travaillent à l’intérieur.
Je suis déjà tombée malade à cause du travail par le passé. Cette réflexion n’est pourtant pas nouvelle pour moi. Cela fait plus de dix ans que je travaille dans le secteur culturel, et dix ans que je constate un peu plus chaque jour la même musique : un secteur associatif qui se fragilise, des institutions culturelles au fonctionnement peu fluides – voir chaotiques – à qui on demande de se renouveler de fond en comble sans avoir le moindre moyen, des équipes sous l’eau, des comportements des partenaires qui se tendent face à la pression… Avec plus récemment, des comportements nouveaux dans certains secteurs « de niche » qui jusqu’ici tenaient sur un principe de solidarité … prendre un tournant individualiste et compétitif. En bref, un secteur culturel ambivalent.
La baisse drastique et continuelle des subventions à l’égard de la création et des actions culturelles nous laisse peu de temps pour se renouveler, se réinventer. On était nombreu.x.ses à pressentir que le modèle associatif n’était plus le bon, car beaucoup trop délaissé des pouvoirs publics. Mais en même temps, le modèle associatif est encore celui par lequel il était possible d’obtenir des subventions et donc de faire vivre nos projets d’action culturelle… Le serpent qui se mord la queue. Il faudrait réinventer quelque chose de complètement différent, avec d’autres types de budgets.
La précarité abîme et use sur la durée. Mais comme beaucoup, on a pris des murs mais on a continué, on s’est endurci, renouvelé 350 fois. On est devenu un gigantesque tas de mikados, on s’est adapté. Parce qu’il est beau ce métier alliant création et médiation pour l’enfance. Quand on voit les yeux des enfants, et des adultes qui les accompagnent… ces moments magiques qui se créent, nous embarquant nous aussi au passage – on sait que c’est important, et on veut juste continuer. Faire un pas de plus.





Il y a un principe idiot mais qui fonctionne bien. Plus c’est dur, plus on a besoin de se dire qu’à un moment le travail va payer. On a trop investi dedans pour imaginer un chemin différent. C’est rageant de se dire qu’on a eu des soucis de santé « pour rien », qu’on a négligé pendant quelques temps certains aspects de sa vie « pour rien » ou tout simplement qu’on a accepté pendant plusieurs années d’être mal payée « pour rien ». C’est humain de vouloir y trouver du sens, dans un espèce de cheminement de sacerdoce : on « sert » la culture pour qu’elle soit accessible au plus grand nombre. C’est « normal » que ça soit dur, parce qu’on a la chance de faire quelque chose qui nous passionne.
En fait le rapport au métier-passion ambivalent est toujours présent lorsque je discute avec d’autres personnes qui font le même métier que moi. Du coup, on normalise, si tout le monde ressent la même chose, alors c’est le jeu et il n’y a pas lieu de changer les règles.
Il ne s’agirait pas d’arrêter de croire en ce qui nous anime, ou de changer de métier… mais juste se laisser le droit d’imaginer un chemin totalement différent pour défendre les mêmes choses.
Aujourd’hui, comme beaucoup d’autres, l’instinct nous hurle quelque chose : la vague est haute dans le monde, les libertés reculent, l’air est électrique, la casse du secteur culturel institutionnel n’est pas loin… mais les petites gouttes d’eau continuent de vibrer, partout. Il faut réussir à les trouver et choisir où mettre son énergie. Avec qui s’allier car rien ne se fera seul. Aucune idée, aucune valeur, aucun monde de demain, ne pourra se porter seul.



Je n’ai aucune idée précise de comment notre radeau va passer cette vague à venir. Mais je sais que plus que jamais, il y a des personnes auprès desquelles j’ai envie d’avancer, de travailler, de réfléchir, de confronter les points de vue et les essais. J’ai accepté l’idée que si, pour le moment, j’arrive à vivre de mon travail de médiatrice, peut-être que dans les années futures, je serai obligée de changer de type de travail. Les temps sont trop incertains. Mais en aucun cas, je n’abandonnerai ces réflexions, et le travail au service de la création et de la médiation pour les enfants, même si cela sera “à côté” d’un autre job.
J’ai décidé de faire des petits pas, à défaut d’arriver à voir loin. M’investir davantage auprès du collectif Wow de médiation culturelle indépendante – porté par des professionnel.les de la médiation incroyables, avec des échanges riches mais aussi sans faux-semblants… Et toujours ce lien fort avec les Griottes Voyageuses – collectif autour du contes plurilingues, et mes incroyables acolytes de La Valise Indigo, Julia Alimasi et Berivan Sart. Et bien sûr, le noyau personnel, familial et amical, essentiel.
Encore et toujours dans un principe de cumul d’emplois, mais avec des équipes avec lesquelles j’ai plaisir à travailler : la Cie Melampo pour un poste de chargée de projets de territoire EAC, la cie Les Griottes Voyageuses pour une mission centrée autour de la communication. Mes premiers pas dans le régime de l’intermittence du spectacle (encore un autre cheval de bataille au niveau administratif). Et côté freelance, continuer le travail en tant que prestataire en ingénierie documentaire auprès du Centre de Recherche en Ethnomusicologie (CREM-CNRS).







Je suis convaincue qu’il faut qu’on regarde au-delà de nos frontières françaises. Il y a tant de manières de faire à travers le monde…pour réinventer quand le sol se dérobe. Je suis également convaincue que de plus que jamais, prendre soin de nos familles, de nos proches et de nos enfants – en prenant le temps qui est nécessaire est primordial.
Prendre le temps d’être en lien. Prendre le temps de prendre du recul, car à vouloir aller trop vite, on reproduit sans cesse les mêmes schémas… comment repenser un autre chemin en vivant à toute vitesse ? Comment réussir à expérimenter d’autres façons de faire ?
L’activité de La Valise Indigo a été ralentie en 2024 car il y a eu deux congés maternités dans l’équipe, et donc l’arrivée de deux petits bébés parmi nous 😉 Un retour au temps de la nature qui se forme, à la puissance de son rythme qui dicte ses lois. Au sein de l’équipe, nous cumulons toutes plusieurs activités et jobs différents dans les secteurs culturels et artistiques, mais petit à petit nous espérons pouvoir investir davantage de temps dans le projet de la Valise !
Le temps aussi de réfléchir aux projets qu’on souhaite défendre, en redonnant une place beaucoup plus forte à la médiation culturelle – en lien avec nos spectacles. Concevoir le squelette de longs parcours d’action culturelle, alliant plurilinguisme et expression visuelle. Et à nouveau, se coltiner cette recherche de financements, de montage entre partenaires. Tout ce travail sous-marin si chronophage.
Très heureuse de continuer cette belle aventure. Je suis reconnaissante du chemin que prend ce petit bateau, au jour le jour. Et pour finir, une citation issue de la sagesse populaire, retranscrite par Saint Exupéry qui résonne fortement chez moi ces derniers temps : Nous n’héritons pas de la terre de nos parents, nous l’empruntons à nos enfants. »




Article rédigé par Bérénice Primot

