Construction du spectacle L’Arbre à souvenirs / partie 1

L’Arbre à souvenirs est comme un grand morceau de pâte à modeler qui se forme et se déforme en permanence. Mais surtout, c’est un terrain d’apprentissage pour l’équipe de La Valise Indigo, sur comment monter un spectacle de A à Z. Du texte, à la conception de  la scénographie, en passant par les gestes, le travail des mouvements et déplacements. L’interprétation contée, l’interprétation musicale, les lumières, le travail sur les nuances de jeu, et même les questions logistiques de montage/démontage et déplacement… Un sacré challenge pour nous, qu’on est ravis de partager avec vous ! Entre tâtonnements, trouvailles, galères, et re-tâtonnements… voici un retour sur notre processus de création.

Au démarrage, un texte et des images dans la tête

Il y a eu pêle-mêle des inspirations issues de différentes sources, sans que cela soit vraiment conscient. Des images d’un Japon que je n’ai jamais fréquenté réellement mais dont les estampes m’ont accompagnées, et des albums illustrés pour enfants que j’ai toujours lu avec passion, à l’âge de l’enfance comme à l’âge adulte. Et puis il y a aussi ces petits animaux qu’on a dans la tête, et qui nous protègent lorsque cela va moins. Enfin, il y a surtout cet arbre, l’arbre à souvenirs, un brin goguenard, qui de ses branchages nous enveloppe.

L’écriture a suivi avant tout le principe d’une structure simple : situation initiale, élément perturbateur, adjuvant, initiation de la quête, parcours pour accomplir la quête et rencontres, résolution de la quête, retour à la situation initiale. C’est le canevas autour duquel nous avons brodé, enlevé, ajouté des éléments, personnages, décors, sensations, des notes et des mots. 

J’ai écris le texte dans un premier temps (c’est Bérénice qui vous parle). Tout cela a évolué par la suite avec la création musicale de Berivan, qui a apporté une nouvelle dimension aux mots et de nouvelles idées pour incarner les personnages, avec tout le défi de créer un thème musical spécifique pour cet énigmatique arbre à souvenirs… Puis Julia s’est approprié le conte en l’interprétant, et lui apportant un tout nouveau rythme, des idées de personnages, et de nouvelles couleurs. En définitive, un texte comme un canevas, mais un canevas avec lequel on brode en permanence, avec lequel on fait et défait.

Dans mon cas, le texte s’était tellement posé et installé d’une certaine manière ces dernières années, que je ne le voyais plus. D’autant que parallèlement je travaillais à son adaptation en album illustré qui est un autre travail de cadrage texte/image…mais figé sur papier.  Alors que le principe même d’une création contée est qu’elle est tout simplement vivante, organique. Elle ne peut pas être figée, et il faut l’accepter. Accepter de se laisser surprendre, et de ne pas chercher à contrôler, ce qui est plus difficile pour moi. Aussi l’arrivée de Berivan et de Julia a fait comme un appel d’air, certes déstabilisant, car on y perd ses repères dans un premier temps… mais au final, tellement plus riche et surtout, rempli de surprises.

La construction des décors et personnages

Pour cette partie-là, il y a deux choses bien distinctes qu’il m’a fallu apprendre. C’est-à-dire la création des illustrations pour le théâtre de papier, et puis leur façonnage pour la scène. En fait, les envisager comme des sortes de sculptures qui vont être tripatouillées, bouger dans l’espace, qui peuvent être cassées et déformées. Des décors et des personnages qui vont être également à l’épreuve de l’espace scénique. Ils servent la dramaturgie, mais on les sert également … en les rafistolant, consolidant leur structure, et leur donnant une parole et des expressions.

Au démarrage j’envisageais cela un peu trop de manière statique, comme des sortes de “tableaux” que l’on déplace. Or, là aussi, il m’a fallu lâcher prise sur le résultat. Les figurines sont clairement malmenées, même en faisant attention. Et c’est le jeu. Et surtout, le jeu en vaut la chandelle.

Idem, j’ai dû apprendre à lâcher sur “faire du propre”, du lisse, ou tout simplement entrer dans des micro-détails. Parfois, c’est intéressant car l’on peut inviter les spectateurs à venir sur scène ensuite pour regarder de plus près le travail du papier… mais autrement, il faut se mettre à hauteur des yeux du spectateur.

Et combien de fois des silhouettes de papier, ou des décors ne “fonctionnent pas” une fois mis en jeu… bref, s’ils marchent comme des illustrations seules, cela ne va pas… il faut les mettre en mouvement, voir où est l’inconfort. Et surtout, les faire dialoguer avec le jeu, sans illustrer simplement la parole contée. C’est un dialogue visuel entre des corps, un espace de jeu, des mouvements, des voix, des notes de musique, et des créations plastiques. Tout un programme ! Souvent, je regarde ce que l’on fait avec la sensation que je suis dépassée. En fait, je ne maîtrise pas le rendu, c’est un projet de création et aussi d’apprentissage. Donc, c’est comme ça, parfois on a un effet dans la tête que l’on n’arrive pas à réaliser faute de technique ou de “savoir comment faire”. Et puis, finalement on finit par trouver autre chose. Un travail de tricot, entre l’existant et “ce qu’on voudrait faire”.

Pour vous parler un peu des coulisses des décors, il y a donc des matériaux divers : du bois, du carton, du carton plume, différentes sortes de papier (papier de soie, papier japonais, papier canson, papier kraft etc.), des chutes de tissu, de la feutrine, du scratch, du gaffeur, des aimants. Et puis évidemment de la colle, beaucoup de colle. J’utilise principalement l’acrylique pour la peinture, et également le posca pour les détails.

Ensuite pour les objets, il y a ce que l’on chine un peu partout. Des mini-ventilateurs, râpes à fromage, passoire… Les chutes de carton en tout genre que l’on garde à la maison malgré le fait qu’il n’y A PLUS DE PLACE (mention spéciale pour les boîte à œufs qui sont formidables).

Évidemment les vide-greniers sont des espaces rêvés pour se donner des idées, tout comme Castorama, Leroy Merlin et tous ces petits bazars à bas prix qui regorgent de “petites conneries géniales”. J’ai aussi passé la porte de marchands de tissu, dont l’un m’a laissé un carton entier de chutes et de patrons en tout genre ! On se met à tout stocker car tout peut “un jour” être intéressant. Heureusement que mon appartement est petit car cela m’oblige à ne pas entrer dans un syndrome de Diogène trop extrême (rires).

Récemment, j’ai décidé d’enfin tout trier et étiqueter. Mettre ainsi dans des contenants adéquats. Un inventaire est également en cours ! J’essaie de vaincre ce trou noir qu’était devenu la moitié du salon 🙂

Aux prémisses du projet, j’ai débuté au tout début par des illustrations à l’acrylique. Je ne les ai pas conservés pour le spectacle, comme beaucoup d’autres choses d’ailleurs. Mais elles m’ont donné une tonalité pour le conte.

Et oui, cela est aussi quelque chose que j’ai pu trouver compliqué. On ne garde pas tout ce que l’on fabrique. Et croyez-moi que cela m’embête prodigieusement (rires). J’essaie de ne pas jeter dans tous les cas, je me dis que ça peut peut-être servir pour une autre création.

Mais QU’EST-CE QUE C’EST PÉNIBLE de passer littéralement des heures sur une construction ou une illustration, qui au final “ne fonctionne pas”. Ou alors, c’est en trop, car cela alourdit la narration … 

Je dirai que cela m’apprend à devoir très vite désacraliser et désinvestir ce que je construis. Paradoxalement. Je mets une intention quand je construis, puis ensuite, cette intention change lorsque je le laisse “au service de la création contée”. Cela ne m’appartient plus.

Après, il y a les essais. Dernièrement Julia a apporté des aimants ce qui a donné un tout nouveau confort au travail avec les figurines. Moi qui avait toujours peur qu’une figurine tombe pendant le spectacle, et casse le rythme et l’illusion… Bref, on en a mis partout sur nos figurines et nos structures et croyez-moi c’est formidable !

Cela ne veut pas dire que l’on peut jouer dehors par un vent gigantesque non plus… Mais cela apporte du confort à la manipulation, permet de libérer ses mains pour autre chose, et d’investir l’espace de jeu différemment. 

Ensuite, il y a comment stocker tout ce barda dans la valise. C’est toujours un moment de stress pour moi car il y en a partout, il n’y a pas toujours le temps de tout ranger correctement avec le temps qu’il faut. Et je sais que tout est fragile et peut se plier, se tordre, voir se déchirer si je range trop à la va-vite et que je crapahute avec mon sac partout… sans compter qu’il pleut dehors etc.  Bref, je suis encore en train de voir comment trouver la meilleure organisation possible.

En conclusion, voici notre premier volet du retour sur la création de l’Arbre à souvenirs !

On va vous raconter ensuite comment Berivan a travaillé sur la composition sonore, comment Julia s’est approprié le texte et a réfléchi à de nouvelles propositions de mises en scène… Et puis, aussi comment on répète, comment on s’organise, comment on se synchronise et se désynchronise bref…. A très bientôt pour le deuxième volet !

Article rédigé par Bérénice Primot